PREDICATION DU 4 SEPTEMBRE 2011 A PORT ROYAL


PREDICATION A PORT ROYAL DU 4 SEPTEMBRE 2011
Robert Philipoussi

LECTURES

Ezéchiel 33.7-9

7Toi, humain, je te nomme guetteur pour la maison d’Israël. Tu écouteras la parole de ma bouche et tu les avertiras de ma part. 8Quand je dirai au méchant : « Méchant, tu mourras ! », si tu ne parles pas pour avertir le méchant au sujet de sa voie, ce méchant mourra dans sa faute ; mais son sang, je te le réclamerai. 9Mais si, toi, tu avertis le méchant au sujet de sa voie, et qu’il ne revienne pas de sa voie, il mourra dans sa faute, et toi, tu sauveras ta vie.

Matthieu 18.15-18

15Si ton frère a péché contre toi, va et reprends-le seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. 16Mais, s’il ne t’écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute affaire se règle sur la parole de deux ou trois témoins. 17S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Eglise ; et s’il refuse aussi d’écouter l’Eglise, qu’il soit pour toi comme un non Juif et un collecteur des taxes. 18Amen, je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel.

Romains 13.8-10

8Ne ne devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer les uns les autres ; car celui qui aime l’autre a accompli la loi. 9En effet, les commandements : Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, tu ne désireras pas, et tout autre commandement se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 10L’amour ne fait pas de mal au prochain : l’amour est donc l’accomplissement de la loi.




PREDICATION
Ceux qui concoctent nos textes du jour nous livrent aujourd’hui trois textes qui d’une part, sont chacun des aimants à préjugés : ce sont ces préjugés que nous allons décrire  dans une première partie introductive, pour en venir  dans une seconde partie, en dépassant ces préjugés, à percevoir quelque chose de beaucoup plus important, une réelle fracture, un vrai clivage  de pensée, et de spiritualité, entre les auteurs d’Ezéchiel et de Matthieu d’un côté, et Paul de l’autre. C’est cette fracture que nous tenterons de comprendre et de résoudre dans une deuxième partie.

Ceux qui ne pratiquent pas la Bible en ont souvent deux préjugés antagonistes :
-         elle ne parle que de guerre, de vengeance et de sang et on n’a pas besoin de ça.
ou
-         elle ne fait qu’invoquer la paix et l’amour mais ça confine à la platitude.
Il existe aussi ceux qui la parcourent d’un œil distrait et qui cumulent souvent les deux préjugés en disant que la première partie de la bible, dite ancien testament est pleine de la violence et de la fureur d’un dieu sanguinaire, et que le nouveau testament lui est rempli de douceur de bonté et d’amour.
Bien entendu, toutes ces perceptions sont erronées. Pour améliorer sa perception, il suffit d’entrer dans l’intimité de certains textes de l’ancien testament comme par exemple celui la ligature d’Isaac (Genèse  22:1-19) texte qui est  souvent considéré comme un sommet de barbarie, il suffit de le lire attentivement pour en percevoir en fait toute  la subtilité
Excursus uniquement sur le site : il est à noter que l’auteur d’Ez 20,25-26 qui veut s’y opposer assimile le sacrifice des premiers-nés humains à un mauvais commandement que Yahvé aurait donné dans sa colère
 et il suffit, par ailleurs, de simplement entendre  certaines paroles de Jésus pour en percevoir toute la vitalité et même l’agressivité.
La Bible est tout simplement de l’écriture humaine, que les croyants jugent inspirée par Dieu et inspirante pour eux. En  tant qu’œuvre humaine, pensée, transmise, et transcrite par des gens qui n’étaient pas des moines ou des saints,
Œuvre humaine, pensée, transmise, et transcrite dans diverses situations politiques et religieuses, cette œuvre charrie, comme un fleuve peut charrier tout et n’importe quoi, des morceaux de réel, des pans de notre réalité. C’est pour cela que la Bible parle à des milliards de personnes depuis des siècles, parce qu’elle charrie, forcément, quelque chose de notre existence, de ses peines, des ses abandons, de sa solitude, de ses questions, de ses  prières ou de ses  plaintes envers les hommes ou envers Dieu. C’est de notre existence fragile dont il est question, dans sa capacité de produire du mauvais et du bon.
Les trois textes du jour illustrent tout le contenu de cette introduction. En le lisant superficiellement on pourrait voir chez Ezéchiel cette violence de Dieu, et dans Paul un idéalisme plat et inefficace.

Alors maintenant, il est temps d’examiner de quoi ces textes parlent, et ce que leur juxtaposition, dans la liste des textes du jour, nous permet d’apercevoir comme clivage, peut-être irrémédiable, peut-être pas.
Les trois, en tous les cas,  parlent de la  responsabilité de l’homme envers son prochain. Ezéchiel et Matthieu parlent de la responsabilité du prochain qui déraille, et le texte de l’épître aux Romains parle du nouveau mode, parce pour Paul, tout est nouveau,  de responsabilité envers les autres en général.

Chez Ezéchiel, cela concerne le prochain mais qui déraille gravement.
Excursus uniquement sur le site : Notre fragment de texte est situé dans le seconde partie d’Ezéchiel, probablement écrite par des disciples, exilés à Babylone.

Ce texte parle de ce qu’on appelle la sommation.
Dieu envoie une sentence de mort sur le « méchant » qu’on pourrait traduire par criminel. Voilà qui pourrait abonder dans le préjugé du Dieu sauvage de l’ancien testament. Mais il faut lire la suite. L’homme, désigné comme le veilleur ou le guetteur dans ce texte,  doit avertir le criminel de cette sentence, non seulement pour le faire changer de voie, mais aussi parce qu’il est inconcevable qu’il meure sans être conscient du pourquoi de sa faute. Ce texte redoutable renvoie sur celui qui n’aurait pas averti le criminel qui serait « mort dans sa faute » dit le texte, la responsabilité du crime.  En gros ce texte met en équivalence la faute du criminel et la faute de celui qui n’aurait pas tenté de l’avertir qu’il allait mourir à cause de sa faute. Il oblige à s’engager pour lutter contre le crime, et pas simplement regarder, le mal s’accomplir, ou le criminel tomber. Ce texte interdit finalement, la fuite, la peur ou l’indifférence.
Ce texte raconte que le jugement direct de Dieu sans sommation n’existe pas, ce  texte interdit la vengeance aveugle (le veilleur n’est pas du tout  invité à faire justice lui-même).
Même si l’écriture est radicale, il y a un processus de médiation et responsabilisation de celui qui a la fonction du veilleur. En revanche, si le veilleur  avertit le criminel mais  que celui-ci persiste dans son crime, et qu’il ne change pas de comportement, celui-ci mourra, mais le veilleur sera déchargé de toute culpabilité. Le texte dit qu« il sauvera sa vie ».
Où est la sauvagerie là dedans ? Nulle part. Certes, la première phrase émise par Dieu :
 Quand je dirai au méchant : « Méchant, tu mourras ! »,
pourrait le faire croire.  Mais c’est à partir de cette affirmation pédagogique que toute la médiation du droit apparaît. On dirait que l’auteur du texte modère par une procédure la croyance à un Dieu qu’on aimerait à tort plus direct et plus assassin. Que fait l’auteur ? Il met en relation : le criminel à sa faute, et la société envers le criminel et sa faute. N’est-ce pas une définition du droit : un processus de mise en relation de ces trois éléments ?
Dans Matthieu, dans cette partie visiblement écrite  a posteriori pour la communauté à laquelle s’adressait l’évangile selon Matthieu, c’est la même idée, sauf que là il ne s’agit pas  d’un méchant dans l’absolu, mais de celui qui a péché contre « toi ». Il n’est pas précisé la nature du péché. Mais c’est un péché dans une relation.
Le processus ici se déroule en trois temps. D’abord, le dialogue en face. Si ça ne marche pas, dialogue avec deux ou trois témoins, si ça ne marche pas, confrontation à l’ensemble de la communauté et si ça ne marche encore pas, rupture du lien de responsabilité de la personne fautive, considérée désormais comme non membre du corps fraternel. Terminé.
Il ne s’agit donc ici pas de jeter directement la faute présumée en pâture à toute la société, mais d’observer un cheminement. Cette procédure, vous le sentez bien, entre en totale contradiction avec toutes les dérives que nous connaissons, où l’activation de l’opinion est désormais immédiate.
C’est aussi une bonne manière de régler des conflits en Eglise, mais hélas, elle n’est jamais appliquée. C’est toujours la voie directe, c'est-à-dire  le jugement de l’opinion qui est sollicité d’abord. Il y a de quoi méditer pour édifier enfin des règles correctes dans nos Eglises.  Dans ce texte, nous ne trouvons ni vengeance directe, ni idéalisme. Juste, un processus rationnel et protecteur à la fois de celui qui est accusé et de celui qui a subi le préjudice. Ce que le texte ne dit pas, mais qui dans la pratique devait être évident, c’est que par l’arrivée des témoins, et par la communauté entière ensuite,  se trouve inévitablement évalué si le préjudice est réel, ou non.
Ce qui caractérise ces deux textes, c’est la croyance à la transformation possible. Ils sont tous les deux situés dans la philosophie sémitique du mouvement qu’on peut aussi repérer dans d’autres sagesses comme les sagesses chinoises.
Enfin, nous avons le texte de Romains.  Allons nous être étonné que Paul ne parle pas ici d’une procédure quelconque ? Non. Pourquoi ? Parce que Paul est un idéaliste, dans le sens classique du terme. Il part d’une idée, et cette idée c’est JESUS CHRIST CRUCIFIE comme événement qui vient égaliser toute chose et rendre caduque toute cette casuistique médiatrice héritée de la culture juive. Paul invoque l’amour comme instance absolue et qui passe par-dessus tout. Jésus-Christ, c’est l’acte d’amour de Dieu pour l’univers. Dès lors, il n’y a plus de changement, car l’ultime changement a déjà été accompli.
Excursus uniquement sur le site / Pour aller plus loin sur la thèse de Paul « idéaliste » lire  http://www.amazon.fr/Saint-Paul-luniversalisme-Alain-Badiou/dp/2130488471  Et un commentaire intéressant : http://www.theolib.com/badiou.html
Paul radicalise tout. Ne devez rien à personne. Dit-il d’emblée :  C'est-à-dire qu’il situe celui qui est de Christ comme un homme libre, et qui n’a pas à s’embarrasser de tous les équilibres, tous les échanges de bons procédés, tous les je te donne tu me donnes auxquels nous sommes tous confrontés pour mener notre barque. Y compris en famille, y compris avec nos enfants. Pour Paul, non. Ne devez rien à personne. Point. Car en Christ, vous devenez libre de tout.
Et toute la loi, y compris les quelques paroles qu’il cite du décalogue n’a plus à être étudiée dans les détails et pour pouvoir en faire des décrets d’application dans telle ou telle circonstance particulière. Il n’y a plus de procédure, il n’y a plus rien. Il n’y a que l’amour, l’agapè de Dieu qui surplombe tout, qui convoque tout le monde, toute l’histoire, toutes les histoires dans un même espace.
Tout est résumé dans Tu aimeras ton prochain comme toi-même : une citation du Lévitique, qu’avait reprise aussi Jésus mais que Jésus avait eu le soin de faire précéder par un autre commandement qui dit Tu aimeras ton Dieu de toute ta pensée, ton intelligence, ta force. Paul résume encore le résumé de Jésus.  Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et là tu accompliras toute la loi.
Paul dit : 10L’amour ne fait pas de mal au prochain : l’amour est donc l’accomplissement de la loi
Toute la loi selon Paul a donc pour objectif d’éviter de faire du mal au prochain. Intégrer cela, selon Paul, dans ce texte, cela suffit.
La grande fracture de la Bible n’est pas entre l’ancien ou le nouveau testament, ni dans cette histoire de Dieu vengeur d’un côté ou de Dieu d’amour de l’autre, elle n’est pas entre la religion juive, et la religion chrétienne, elle n’est pas entre les judéo chrétiens et les pagano chrétiens, entre les traditions prophétiques, sacerdotales, sédentaires ou nomades. La fracture apparaît en revanche  entre ces deux points de vue : le point de vue pragmatique, basée sur la croyance en la transformation, dans la philosophie du mouvement, exprimé aujourd’hui chez Ezéchiel et dans Matthieu : il faut donc croire à la possibilité de réguler la violence et éviter de faire n’importe quoi, il faut se donner les moyens de permettre à quelqu’un de changer et de l’autre côté nous avons le  point de vue Idéaliste, exprimé brillamment, entre autres par l’apôtre Paul qui pousse la logique de l’amour jusqu’au point où toute cette procédure est obsolète , où la seule chose à faire est de révéler l’amour exprimé par l’acte de Dieu. Pour Paul, tout est accompli.  Paul n’a plus besoin de loi, parce qu’à partir du moment où on a laissé entrer l’amour, l’agapè, l’amour inconditionnel de Dieu dans nos relations, la conscience devient vive qu’il n’est désormais plus possible de faire du mal au prochain, y compris dans les petites phrases, y compris dans la compétition, dans la jalousie ou dans je ne sais quoi.
Il est bien certains que les juifs du Talmud ont répugné de voir en Paul  un des premiers rabbins de ce Talmud justement.  Car il est évident que ce que raconte Paul est totalement inapplicable, qu’il faut de la loi, de l’ordre, de la régulation, de la procédure pour pouvoir vivre ensemble, car l’homme est ainsi fait, il est capable de tout est souvent du pire, mais il est aussi capable de se réguler lui-même.
Alors, que faisons nous, avec ce cocktail contradictoire  que nous ont concocté ceux qui fabriquent les listes des textes du jour. Quelle option prendre ?
Mon idée à moi est que si on n’écoute pas Paul d’abord et sa radicalité idéaliste, si on ne prend pas conscience que l’amour de Dieu est capable de tout sauver en nous rendant effectivement libres, et bien toutes nos procédures, notre casuistique et tous nos règlements intérieurs n’auront aucun effet à moyen terme.  Si je n’ai pas l’amour dit Paul, je suis une cymbale qui retentit, du bronze qui résonne.
A mon sens, il faut d’abord saisir ce que dit Paul, saisir l’acte d’amour de Dieu et le garder en point de mire et ensuite appliquer , dans ce amour là, bien au-delà de la simple amicalité ou de la fraternité, et  appliquer  correctement les procédures utiles.     AMEN

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