PREDICATION DU DIMANCHE 11 SEPTEMBRE 2011 A LA MAISON FRATERNELLE





Préface :
Que faire quand deux textes qui se suivent dans une même fraction d’évangile du jour se contredisent d’une façon presque absolue ? Jésus proclame le pardon infini, la parabole qui suit et qui est mise dans sa bouche dit le contraire en envoyant au bourreau celui qui n’a pas pardonné alors qu’il l’avait  été. Certes, il est toujours possible d’établir une concordance et de s’en sortir par une pirouette pédagogique du genre Dieu pardonne absolument sauf , « mais dans un esprit de mise en garde paternaliste qui n’a pas à être prise d’une façon littérale »…celui qui pardonné, ne pardonne pas à son tour…. Ou alors, puisque le "maître" correspondrait au "Père Céleste" il faudrait convenir que s'il faut être impitoyable avec ceux qui sont impitoyables, il faudrait être impitoyable avec Dieu ! Et puis aussi avec soi-même !  D'autres diraient que s'il faut pardonner à ceux qui ont une dette envers nous, il n'est pas possible de pardonner à ceux qui ont une dette envers d'autres que nous : ce qui signifierait que nous n'aurions aucun lien avec d'autres que nous…etc.
 Ces  pirouettes, en plus d'être symptomatiques de boucles névrotiques,  sont lassantes et finalement ne disent rien.
Alors, le prédicateur se trouve convié à dire ce qu’il lit. Son travail n’est pas de justifier un texte contradictoire, mais de le dire. 
Le non pardon est un poids, le pardon n'est pas une obligation morale, il est le choix d'une attitude de militant de l'évangile qui ne veut pas être embarrassé de ce poids.

LECTURE 
Matthieu 18.21-35
21Alors Pierre vint lui demander : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? Jusqu’à sept fois ? 22Jésus lui dit : Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.
23C’est pourquoi il en va du règne des cieux comme d’un roi qui voulait faire rendre compte à ses esclaves. 24Quand il commença à le faire, on lui en amena un qui devait dix mille talents. 25Comme il n’avait pas de quoi payer, son maître ordonna qu’on le vende, lui, sa femme, ses enfants et tout ce qu’il avait, afin de payer sa dette. 26L’esclave tomba à ses pieds et se prosterna devant lui en disant : « Prends patience envers moi, et je te paierai tout ! » 27Emu, le maître de cet esclave le laissa aller et lui remit la dette. 28En sortant, cet esclave trouva un de ses compagnons d’esclavage qui lui devait cent deniers. Il le saisit et se mit à le serrer à la gorge en disant : « Paie ce que tu dois ! » 29Son compagnon, tombé à ses pieds, le suppliait : « Prends patience envers moi, et je te paierai ! » 30Mais lui ne voulait pas ; il alla le faire jeter en prison, jusqu’à ce qu’il ait payé ce qu’il devait. 31En voyant ce qui arrivait, ses compagnons furent profondément attristés ; ils allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé. 32Alors le maître le fit appeler et lui dit : « Mauvais esclave, je t’avais remis toute ta dette, parce que tu m’en avais supplié ; 33ne devais-tu pas avoir compassion de ton compagnon comme j’ai eu compassion de toi ? » 34Et son maître, en colère, le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il ait payé tout ce qu’il devait. 35C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur.
PREDICATION

Difficile de trouver une plus grande contradiction entre deux textes bibliques qui en plus se suivent et dont le second  prétend illustrer le premier.

Pierre demande combien de fois il doit pardonner à son frère, la loi orale de Moise, qui devenait  le Talmud, ne demandait pas tant. Trois fois suffisent ; selon lui, il n’est pas nécessaire de pardonner quatre fois (Talmud Babylone Joma 86,2 se fondant sur Amos et Job) et Jésus répond non pas 7 mais soixante dix (sept) fois sept fois.  Ce qui évoque en fait une infinité. Une façon pour Jésus d’exprimer la quintessence de la Loi.
Quel contraste donc avec ce Roi – ou ce maître, le mot évolue dans cette parabole - qui si vous avez bien entendu pardonne une fois, mais pas deux (même s’il ne s’agit pas du même forfait).


Avant d’en venir au commentaire de la parabole qui suit et essayer de dépasser le problème, je vous transmets une évocation, simple, de ce que veut dire le pardon.

Pardonner, en grec, c’est le même mot  qui signifie remettre une dette. Cela dit pour resituer le problème en des termes concrets. Mais dire cela n’est pas d’une grande aide pour bien comprendre et surtout transmettre ce que veut vraiment dire pardonner.

Il faut comprendre le pardon à partir d’une part de la posture du disciple et de la liberté d’esprit propre à sa militance.

Et d’autre part, il faut comprendre le pardon à partir de deux gestes.
Celui de prêter. Et celui de donner.

Quand je prête, j’attends qu’on me rende.

Quand je donne, je n’attends pas qu’on me rende. Et même pas qu’on me rende un « merci ». Mot qui veut dire en vieux français – et en anglais – « pitié », c'est-à-dire « pitié, ne m’accable pas de la dette que je viens de contracter avec toi et ce que tu viens de me prêter.

Quand je donne, je n’attends rien en compensation, échange, ou remboursement, sinon, cela signifie que ce n’était pas un don mais un prêt.


Nous sommes encombrés de dettes.

Un exemple simple, un jour vous avez rendu service à quelqu’un, un vrai service, et puis cette personne n’a semble-t-il jamais songé à ne serait ce que vous dire « merci » (cf. supra) et bien cette personne, selon vous, a une dette envers vous, même si elle n’en a aucune conscience.

Un autre exemple :

Une personne nous a fait mal. Et nous sommes encombrés de la dette que nous jugeons que cette personne a envers nous, même si cette personne n’en a aucune conscience.
Or le disciple du Christ, c’est d’abord quelqu’un qui doit se sentir libre pour accomplir sa mission. Il n’a pas à être encombré de ces dettes là.

Alors, il pardonne. C'est-à-dire qu’en fait il donne à cette personne ce qu’elle est censé lui devoir. Et en cela, il s’en libère. Si cette personne comprend, si cela lui procure un effet bénéfique quelconque, tant mieux, sinon, ce n’est pas grave, car l’acte de pardonner n’a pas pour principal intéressé celui qui est pardonné, mais celui qui pardonne. Pour être libre, neuf, et prêt pour l’évangile qui est un combat, une lutte acharnée contre les forces du désespoir, le disciple doit d’abord pardonner.

Le disciple du christ ne prête rien, il donne.  Et du coup, il pardonne, c'est-à-dire qu’il transforme tout ce qu’on lui devrait, en don.
C’est dans cet esprit de militance qu’il faut comprendre les autres  paroles du fameux sermon sur la montagne quand Jésus quand il dit

Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent ; faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui se servent de vous avec mépris et vous persécutent ;

Ce n’est pas un esprit sacrificiel qui est invoqué, c’est en fait, un slogan de militant, qui n’a pas à s’alourdir en plus des persécutions, de la haine et de la rancœur qui vont avec.

Bien sûr, il existe bien d’autres facettes du pardon.  Mais celles-ci n’ont pas grand-chose à voir avec la discipline du Christ.

Par exemple, quand quelqu’un  vous demande de lui demander « pardon ».
Si cette personne fait cela, qu’elle a besoin  de cette demande de pardon pour vous pardonner, elle n’est pas dans le fil de cette discipline du Christ que j’ai évoqué.
Si cette personne vous demande, ou fait savoir qu’il s’agit pour vous de lui demander pardon, c’est qu’elle considère que vous lui devez quelque chose, et qu’elle a besoin pour pardonner, que vous lui rendiez quelque chose.
Elle est tout à fait dans son droit de faire cela, évidemment, mais on n’est toujours dans la logique du prêté – rendu,  mais cela n’est pas dans la logique du militant chrétien qui, puisqu’il donne, par définition, pardonne.
Cela nous renvoie au Dieu de grâce, d’un Dieu qui n’a pas envie de s’encombrer avec toutes les dettes émises par ses pauvres créatures, et cela nous renvoie au Dieu d’amour inconditionnel. Le Dieu de Paul et de Luther.

Maintenant, venons en à cette fameuse parabole dite de l’esclave impitoyable.  Je la nommerais plutôt « la parabole du roi impitoyable » et je trouve sidérant que la plupart des commentateurs ne perçoivent pas cette contradiction très gênante qui devrait sauter aux yeux, avec en plus le commentaire attribué à Jésus qui dit au verset 35 : « C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur ». En gros, qu’il vous livrera au bourreau. Ce n’est pas, moi, l’idée que je me fais de mon père céleste. Si je lis cette parabole, je suis obligé de constater que Jésus et moi n’avons pas le même père ! Ce qui serait quand même dramatique !

D’un point de vue littéraire, c’est une  preuve à mon sens, que si la phrase de Jésus sur le pardon infini est une parole vraie de Jésus, la parabole qui suit est manifestement un rajout de l’Eglise de Matthieu pour soi disant illustrer cette phrase et en tombant manifestement dans le contraire absolu de ce que Jésus disait.

 Jésus a peut-être raconté une parabole de ce genre, mais les rédacteurs postérieurs  en ont fait quelque chose d’autre, et une trace de cette confusion est lisible dans le passage du mot « roi » au mot « maître ».  Mais quel dégât cette parabole a pu faire par la suite, dans la conception d’un pardon qu’il s’agirait d’extorquer par la force !

Mais puisqu’elle est là, et qu’elle est comme ça, il faut en faire quelque chose.
Cette parabole, telle qu’elle est, veut pouvoir dire quelque chose, elle nous invite  à réfléchir au fait que pardonner n’est pas obligatoire. Qu’il est possible d’envisager une non -remise de la dette, dans certaines circonstances, qu’il y a peut-être des dettes imprescriptibles, comme celle, mystérieuse, provoquée  parce que Jésus appelle le blasphème contre le saint esprit

(Matthieu 12:31 C'est pourquoi je vous dis : Tout péché et tout blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera point pardonné.)

Ou,  par exemple ici, dans cette parabole, a propos d’un cas flagrant d’une personne impitoyable qui n’appellerait donc  à aucune pitié…. * boucle paradoxale.


Chacun reste  libre de le penser.

Mais rappelons le encore une fois, un disciple du christ est un homme ou une femme libre, et pardonner, infiniment, c’est devenir libre, infiniment.

AMEN

Robert Philipoussi

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