PREDICATION Maison Fraternelle et Port-Royal 17 et 18 septembre 2011


Matthieu 20.1-16





1Voici en effet à quoi le règne des cieux est semblable : un maître de maison qui était sorti de bon matin embaucher des ouvriers pour sa vigne. 2Il se mit d’accord avec les ouvriers pour un denier par jour et les envoya dans sa vigne. 3Il sortit vers la troisième heure, en vit d’autres qui étaient sur la place sans rien faire 4et leur dit : « Allez dans la vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste. » 5Ils y allèrent. Il sortit encore vers la sixième, puis vers la neuvième heure, et il fit de même. 6Vers la onzième heure il sortit encore, en trouva d’autres qui se tenaient là et leur dit : « Pourquoi êtes-vous restés ici toute la journée sans rien faire ? » 7Ils lui répondirent : « C’est que personne ne nous a embauchés. – Allez dans la vigne, vous aussi », leur dit-il. 8Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : « Appelle les ouvriers et paie-leur leur salaire, en allant des derniers aux premiers. » 9Ceux de la onzième heure vinrent et reçurent chacun un denier. 10Les premiers vinrent ensuite, pensant recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun un denier. 11En le recevant, ils se mirent à maugréer contre le maître de maison 12et dirent : « Ces derniers venus n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons supporté le poids du jour et la chaleur ! » 13Il répondit à l’un d’eux : « Mon ami, je ne te fais pas de tort ; ne t’es-tu pas mis d’accord avec moi pour un denier ? » 14Prends ce qui est à toi et va-t’en. Je veux donner à celui qui est le dernier autant qu’à toi. 15Ne m’est-il pas permis de faire de mes biens ce que je veux ? Ou bien verrais-tu d’un mauvais œil que je sois bon ? » 16C’est ainsi que les derniers seront premiers et les premiers derniers.


TEXTE DE LA PREDICATION


Ce que nous allons tout d'abord faire, c'est un point historique, histoire de nous en débarrasser pour ensuite évoquer ce que cette parabole, peut nous dire vraiment aujourd'hui et maintenant.


Le point historique est simple .
Matthieu écrit dans et pour une communauté de chrétiens venus du judaïsme et qui doit lutter pour conserver sa tradition pendant qu'elle est paradoxalement à la fois en conflit avec le judaïsme officiel et qu' elle se veut largement ouverte aux païens.
C’est donc une communauté, une « église » dans le sens premier du terme qui fait une «  mise à jour » », qui se tourne à la fois vers le passé et vers l’avenir que nous rencontrons dans cet Évangile.
Le problème est posé par ces juifs qui accueillent Jésus comme le Messie mais dont certains se demandent s'il faut ou non et comment accueillir d'autres gens qui veulent aussi faire partie de cette assemblée, de cet enthousiasme, et qui sont d'une autre origine, qui n'ont pas connu la loi et les prophètes, et ne peuvent pas comprendre le sens de certaines coutumes...
Alors l'évangile de Matthieu rappelle au moyen de cette simple parabole, l'avis de Jésus lui-même, sur cette question.
Même ceux qui arrivent au dernier moment, ou, qui ne sont pas issus de cette lignée et de cette histoire, qui n'en ont pas les empreintes sur leurs mentalités, croyances, et comportements, même ceux qui arrivent finalement à la fin de cette histoire – puisque oui, ce mouvement croyait que c'était la fin du temps – tous ceux-là sont au bénéfice de la même grâce, sont invités de la même manière, sont sauvés comme les autres.


Voilà pour le point historique, intéressant, invitant à aller chercher pour comprendre ce qui se passe dans ce premier siècle de bouleversement. Mais cela ne fait pas une prédication.


Maintenant, regardons cette parabole , ce qu'elle pourrait nous dire...


Prenons un premier exemple.
Celui-ci m'est venu d'une remarque d'une catéchumène qui m'avait sorti dans un groupe une fois, « nous la génération d'aujourd'hui » .
Je n'étais pas non plus très vieux à l'époque mais je sentais bien que sa génération à elle, la génération d'aujourd'hui, avait sereinement l'intention de considérer la mienne comme un vestige...
Je lui ai rétorqué que, désolé, mais, aujourd'hui, nous sommes encore plein de générations différentes et que les seules générations qui ne sont pas d'aujourd'hui, ce seraient celles qui sont mortes ou qui ne seraient pas encore nées, et encore, c'est bibliquement discutable, car finalement, selon la Bible il n'y a qu'une seule génération, morts, vivants, pas encore nés, sont tous dans l'éternel présent de Dieu.


Cette tentative de me faire reléguer dans une brocante générationnelle m'a permis je pense de comprendre au moins une partie – de ce que je crois.
(incise : croire c'est facile, mais comprendre ce que l'on croit nécessite un effort)


Donc voici l'exemple. Un enfant nait. Imaginons que nous tous ici soyons sa famille, et que nous soyons tous ses parents cousins oncles tantes parrains marraines frères sœurs. Et nous sommes tous d'accord qu'il est arrivé le dernier.
Ce nouvel être parmi nous convoque non seulement nos sentiments mais aussi, évidemment notre responsabilité.
D'ailleurs, il ressemble tellement à son grand père, ou à un membre quelconque de la lignée et si ce n'est pas vrai, nous irions faire en sorte que cela le devienne.
Et ce sera à nous, ses parents parrains et marraines etc de lui dire, de lui faire comprendre comment le monde fonctionne, de lui inculquer ce qu'il pourra ou devra faire, croire, penser en nous alliant bien sûr à la pensée commune, à l'opinion, aux mass media, à l'internet, qui feront de lui un être comme nous qui transmettra nos valeurs et nos schémas, notre foi et nos chants.
Il est arrivé le dernier, et nous sommes arrivés avant lui, si bien que ce sont nos prérogatives qui s'exerceront sur lui et nous serions désespérés si jamais un jour il s'avise d'émettre un autre son de cloche.
Cette façon de penser est
très aisément falsifiable.
En deux points
C'est manifestement une utopie : l'utopie d'une transmission sans évolution, l'utopie du même qui se clonerait à l'infini.


Ce dernier né déjà bénéficie sans l'avoir demandé de tout ce que nous avons préparé pour lui. Il est si mignon, ce bébé, qui va bénéficier des largesses de notre héritage et cultivera lui aussi le jardin de nos ancêtres.
Mais, bénéficiant de ce que nous n'avons pas eu nous, il est bien certain qu'il fera comme nous l'avons fait , c'est à dire, qu'en fait, il ne croira pas , ne fera pas, ne pensera pas la même chose que ses parents et que sa famille. La distinction sera peut-être subtile, mais le clonage en matière d'éducation n'existe pas.
Donc le nouveau dans nos sociétés qui ne sont plus des sociétés traditionnelles de transmission parentale directe,changera la donne, comme nous même l'avons fait.
Mais plus important encore, ce dernier arrivé est aussi celui qui sera en première ligne dans la construction de son propre avenir et il sera forcément à l'avant garde, premier sur la ligne du temps qui passe. Et comment dire, lui aussi il a raison. Pour lui, même s'il nous aime et nous respecte, nous serons toujours derrière lui. Tous ceux qui seront arrivés avant lui seront derrière lui. D'où la remarque de cette jeune fille qui disait « nous , la génération d'aujourd'hui » m'identifiant à la génération d'hier. Celle qui commençait, selon elle, à avoir son avenir derrière elle.
Mais vous savez, en fait, ce que je viens de faire là, c'est de vous raconter, légèrement en avance, l'histoire de Noël, à propos de ce nouveau-né...
Oui, dans ce cas, les derniers arrivés, se sentiront les premiers et objectivement, ils le sont, même si, nous étions là avant.
( Maison Fraternelle :Si nous voulons toujours que tout reste pareil, , on met Jésus en pension à vie et voilà...Certains disent que les Eglises l'ont fait, mais je ne m'avance pas plus sur ce terrain glissant.)




Notons déjà que la parabole de Jésus, transmise au cœur d'une société auto reproductrice et patriarcale était nettement révolutionnaire et prophétique, car il n'y a que depuis peu de temps que nous pouvons dire que les enfants sont porteurs de leur propre avenir et ce , dans nos contrées libérales aux régimes relativement démocratiques d'aspects. Autrefois, les anciens, ont toujours eu le pouvoir et la société évoluait donc très lentement, et les crises de jeunesses étaient noyées dans le sang ou l'indifférence. La jeunesse chinoise en a fait les frais plusieurs fois.


Après cette brève explication des conflits intergénérationnels qui parcourent toutes nos vies familiales et paroissiales et politiques, prenons un autre exemple, qui va dépasser cette opposition entre les derniers arrivés et les premiers arrivés.


Un nouveau arrive dans l'Eglise. Un ancien le repère et vient pour l'accueillir. C'est ce qui se passe dans cette paroisse, je vous assure que dans certaines autres paroisses, le nouveau erre longtemps avant de trouver quelqu'un à qui parler. Je me souviens de cette personne qui avait accueillie en ces termes
  • Bonjour, vous êtes nouveau ici ?
  • Heu, non, cela fait un an que je viens au culte tous les dimanches.


L'ancien donc va à la rencontre du nouveau et l'accueille. Et il lui dit quelque chose comme ; je ne vous connais pas, vous êtes nouveau ici ?
Et l'autre répond en général en s'inclinant un peu « oui, je viens pour la première fois » et l'autre lui dit «  bienvenus dans notre communauté » et lui en explique le fonctionnement .


C'est très beau, mais, il y a un problème, et là je mets volontairement les pieds sur une mine que j'ai fabriquée moi même pour expliquer ce qu'est véritablement l'Eglise.
Le nouveau, le dernier arrivé là, devrait avoir le toupet,
à la question « bonjour, je ne vous connais pas, vous êtes nouveau ici ? »
de répondre :
« bonjour, mais je ne vous connais pas non plus ! »
Je sens que vous êtes troublés, quel toupet ce nouveau ! « toupet » c'est vraiment un mot qui me situe bien dans la génération d'avant-hier....
En fait, au moment même où ils se serrent la main, ce n'est pas d'abord un nouveau membre qui est accueilli dans l'Eglise, c'est quelque chose d'autre de beaucoup plus évangélique qui se passe.




C'est l'Eglise dans ce lieu qui change. L'arrivée du nouveau change la nature même de l'Eglise, et l'éventuel « toupet » du nouveau est profondément dans la lignée de la parabole et de l'évangile de Jésus et de Paul.
A ce moment là, il n'y a plus de nouveau et d'ancien. L'ancien est nouveau pour le nouveau et le nouveau est nouveau pour l'ancien. Il n'y a plus d'ancien et de nouveau . Tous, égalitairement, sont au bénéfice de la même grâce.
Pourquoi ? Parce que l'Eglise d'abord ce n'était pas une institution qui segmente ce qui est avant et après, définit un ordre, dessine sa tradition, établit ses normes de transmission, fabrique une hiérarchie. L'Eglise était ou est d'abord un mouvement, une coulée qui agrégeait, qui agrègent des gens venus de n'importe où et cette agrégation assurait , assure, sa transformation permanente car ce christianisme là était est encore ? un être vivant.
J'ai l'habitude de définir l'Eglise comme une institution basée sur un volcan en activité, en attente d'activité, ou éteint.
Heureusement qu'il y a l'institution
Mais sans le volcan, cette institution n'a aucun sens.


Alors oui, ils ont de quoi se plaindre ceux qui étaient là avant et qui ont trimé dans la chaleur et sous le soleil. Mais alors on devrait aussi se plaindre contre ce dernier né arrivé dans notre famille qui va bénéficier de toutes nos largesses alors que vraiment, il n'a rien fait, comme les anciens se sont plaint de ce Jeune Jésus venu en plus de Galilée.


Alors oui, nos Eglises ne doivent pas oublier le volcan de la grâce de Dieu qui fonctionne encore sous son baraquement institutionnel et toujours penser que le simple accueil du nouveau est un moment où celui nous rend nous nous nouveau.
Alors oui, nos Eglises ne doivent pas oublier ce qu'elles sont, un mouvement, une circulation, un organisme vivant qui se transforme et se renouvelle dans l'accueil.
Quand cet état d’esprit, nous le faisons nôtre, les vieux, ou les anciens que nous sommes, ne désespèrent plus que leurs valeurs ne soient pas transmises, parce qu'ils sont pris dans le mouvement de la grâce de Dieu,
Quand cet état d'esprit, nous le faisons nôtre, les nouveaux ne se sentent pas nouveaux pendant des années,
Ainsi, jeunes et vieux se réjouiront ensemble comme dit le prophète et la chanson qui va avec.
Dieu donne sa grâce à chacun et n'a aucune notion du temps.
Ou bien
Ou bien verrions - nous d’un mauvais œil qu'il soit bon ? Comme le dit Jésus dans sa parabole ?


C'est un côté très provocant du Dieu biblique, cette histoire de dernier qui devient le premier.


Quant au problème salarial posé par cette parabole, adressez vous à votre syndicat de vigneron.
AMEN.

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