Prédication du 20 mai 2012
Jean
3
Mais
il y eut un homme d'entre les pharisiens, nommé Nicodème, un chef
des Judéens,
qui
vint, lui, auprès de Jésus, de nuit, et lui dit: Rabbi, nous savons
que tu es un docteur venu de Dieu; car personne ne peut faire ces
miracles que tu fais, si Dieu n'est avec lui.
Jésus
lui répondit: En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne
naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu.
Nicodème
lui dit: Comment un homme peut-il naître quand il est vieux? Peut-il
rentrer dans le sein de sa mère et naître?
Jésus
répondit: En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne
naît d'eau et d'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu.
Ce
qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est
Esprit.
Ne
t'étonne pas que je t'aie dit: Il faut que vous naissiez de nouveau.
Le
vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit; mais tu ne sais
d'où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est
né de l'Esprit.
Nicodème
lui dit: Comment cela peut-il se faire?
Jésus
lui répondit: Tu es le docteur d'Israël, et tu ne sais pas ces
choses!
-------------
prédication
Robert Philipoussi
Nicodème
est un personnage que l’on retrouvera. Il prendra la défense de
Jésus devant les autres pharisiens. Il se fera alors accuser de
« Galiléen ». Après la mort de Jésus, on le verra
auprès de Joseph d’Arimatée, -un autre disciple caché de Jésus-
pour l’aider à ensevelir dignement le Sauveur.
Un
jour, une nuit, Nicodème a compris. Malgré les origines Galiléennes
de Jésus, malgré la violence des paroles de Jésus contre la
religion instituée, malgré tout ça Nicodème a été saisi. Et il
a orienté sa vie en cohérence avec cette conviction.
Pourtant,
l’interprétation courante de ce passage mystérieux suggère que
Nicodème n’a pas franchi vraiment le cap, qu’il est resté au
milieu du gué, qu’il est resté en demi-teinte.
Nicodème ?
Quelqu’un d’enlisé dans la sécurité du pouvoir. Sécurité
illusoire parce que le pouvoir des pharisiens sera dans quelques
temps disséminé. Nicodème ? Un lâche. Un lâche ? Ou
quelqu’un qui a été plus courageux que les disciples officiels
quand il a fallu ensevelir Jésus : quand il a fallu être
cohérent.
Nicodème ?
Quelqu’un qui est quand même brûlé au cœur par une conviction
profonde.
N. ,
un être complexe, qui ressemble plus à une personne qu’à un
personnage.
Une
personne qui tentera un jour de lier ce qu'il ressent au plus profond
de lui et son comportement.
Ce
n'est pas un disciple flamboyant. Quelqu'un a qui on dit « viens
et suis moi » et qui vient, et suit.
C'est
quelqu'un qui est en chemin. Qui travaille.
Mais
N., dans notre évangile, restera la figure du disciple secret. N.
reste avec son secret.
Je
voudrais aborder avec vous ce thème, celui du secret, à partir de
cette histoire de disciple caché.
Le
secret qui brûle le cœur, qui transforme la vie sans que la plupart
du temps l’entourage qui n’a pas appris à lire le cœur, le
non-dit, l’émotion contenue, qu’on peut refuser de voir, sans
que la plupart du temps, l’entourage se doute de quelque chose.
Les
secrets de quelqu’un finissent toujours par se dévoiler, dit-on.
Dans un groupe, ce sont souvent des secrets individuels inconscients
qui nourrissent des crises du groupe.
Mais
avant d'arriver à la conscience, ces secrets se réalisent dans les
rêves, des rêves aussitôt oubliés. Le secret de N. se révèle la
nuit comme dans un rêve, ce passage de Jean c'est comme un rêve.
Surtout avec l'écriture de Jean qui déborde, qui n'est pas
franchement linéaire.
N.,
doit venir parler la nuit à celui qu’il reconnaît peut-être
comme le Messie. Il veut simplement lui dire qu’il croit et que par
là, il croit aussi qu’il n’y a qu’à Jésus qu’il peut le
dire, puisque c’est un secret.
Cher
amis, n'est ce pas là une dimension essentielle de la foi ? La
foi n'est elle pas ce secret que finalement, ou véritablement, on
ne peut confier qu’à l’objet de sa foi.
Jésus,
dans ce qu'on peut appeler le rêve de Nicodème, assez brutalement
lui dira : il faut
naître de nouveau. Il
suggère donc à Nicodème de révéler son secret, d’affirmer
explicitement sa foi, de sortir du dilemme dans lequel il est
enfermé. N. fait partie d’une catégorie de gens qui vont faire
condamner Jésus. Quelle contradiction ! Jésus lui parle de
nouvelle naissance pour supprimer
le dilemme. N. ne comprend pas, ou fait semblant de ne pas
comprendre. « comment un homme pourrait-il naître de
nouveau s’il est vieux ? », dit-il…
Je
dis que N. fait semblant de ne pas comprendre car sa formule est
étonnante de naïveté pour quelqu’un de si cultivé. C’est
peut-être une façon de jouer avec quelqu’un qu’il admire. C’est
peut-être aussi une forme de résistance. Une défense psychologique
destinée à se protéger de la tentation de la révélation de ce
secret si enfoui au fond de lui ?
N.
prend au pied de la lettre ce que dit Jésus. Une bonne façon de
glisser sur le problème, de ne pas comprendre l’esprit, de ne rien
vouloir comprendre.
N.
vient trouver Jésus de nuit pour lui adresser une sorte de
confession de foi. Jésus lui répond en visant son point sensible.
« Pourras
tu vivre longtemps dans cette contradiction. Déchiré entre ton
secret et ta vie sociale ? »
Je
prefère considérer ce texte comme un songe, comme le dialogue
intérieur d'un disciple tourmenté et en devenir, parce que je ne
pense que Jésus , que le personne Jésus a raison de provoquer à ce
point N.
N’est-il
pas dangereux d’exposer quelqu'un à qu'il délivre brutalement son
secret ? Pour N., c’était un danger réel. Il risquait sa
réputation, sa vie sociale.
Doit-on,
comme Jésus semble le demander, révéler son secret, et mourir de
mort sociale, ou de mort violente comme Jésus qui est venu révéler
au monde le secret de Dieu : il est amour. Qui est venu révéler
au monde le plus enfoui des secrets : Dieu, au cœur. Dieu au
plus intime du monde. Pas le mot « dieu », mais sa vie,
au plus profond de l'intimité du monde.
A
N., Jésus ne parle pas de mort, mais de nouvelle naissance. Mais N.
le sait bien. Le secret de la formule de Jésus est le suivant. Il
faut mourir pour
renaître. N. ne comprend pas ce que veut dire naître de nouveau
parce qu’il n’accepte pas de « mourir ». Il se
contente d’aimer clandestinement Jésus, qu’il a eu la chance de
croiser.
Et
cela ne l’a pas empêché d’être un véritable disciple. .
Le
songe de N. c'est le nôtre.
A
une certaine époque c’était la mode dans certaines églises
évangéliques de traiter l’église réformée d’église de
« nicodémites ». Une église de gens qui vivent presque
clandestinement leur foi. Certains voient en nous des gens qui
refusent, ou ne comprennent pas le principe de la nouvelle naissance,
parce qu’ils ne désirent pas remettre en question leur vie
quotidienne. Nous serions donc des chrétiens implicites. Ceux qui
nous décrivent de cette façon proviennent d’églises où tout le
monde semble directement engagé. Des Eglises où la foi n'est plus
intime, où elle n'est plus un chemin de nuit, où elle n'est plus un
secret.
Il
y a une part de vrai dans cette critique. Et cela doit, peut-être,
nous troubler un peu.
Cependant,
ceux qui révèlent constamment leur secret, ne sont-ils pas en
danger ? Ne se surexposent-ils pas trop ? Ne vivent-ils pas
dans une certaine illusion ? Et le dévoilement permanent ne
cache-t-il pas un vrai secret, plus enfoui ?
Chaque
famille, chaque personne porte en elle un secret. Un secret qui se
transmet parfois, sans parole. Ce secret est souvent perçu comme une
faille, une faute, d’où : l’enfouissement. Quelque chose,
un jour, ne s’est pas passé comme elle aurait dû. Une erreur, une
faute a été commise. Et la vie s’est constituée autour de ce
secret. Et cette vie est un équilibre fragile. Une explicitation
brutale pourrait entraîner des catastrophes en chaîne, briser les
liens, c'est pourquoi la révélation doit se faire progressive, elle
doit être accompagnée.
C’est
uniquement quand ce secret est devenu la source de trop fortes
contradictions qu’il faut le révéler, non pas aux autres, mais à
soi-même. Nicodème avait déjà franchi ce pas !
Chers
amis, Dieu c'est le secret de ce monde. Et La foi c'est ce secret de
Dieu déposé dans nos cœurs. Cette foi est une sorte de faille,
qu’il est peut-être dangereux de rendre trop explicite. Mais
parfois, ne faut-il pas choisir le danger, pour recueillir le
bénéfice d’une vie plus intense ?
La
découverte de ses propres failles est utile. Elle conduit à
l’indulgence. Pas à l’indulgence bête, la tolérance lâche.
Mais à l’indulgence militante.
Dans
le cheminement spirituel nous apprendrons à éprouver de l’amour
face à quelqu’un qui se débat dans une vie où la contradiction
est trop forte, entre son secret et son comportement.
Si
nous ne sommes pas capables de vivre au grand jour, si nous sommes
obligés de fixer la nuit des rendez-vous avec ce secret, nous n’en
sommes pas moins respectables.
Si
nos contradictions sont trop fortes, si notre débat intérieur est
trop fort, espérons qu’autour de nous ne va pas se construire un
mur de jugement. Mais que se développera un amour réaliste, une
affection sincère, donnée par des gens qui ne passent pas leur
temps à se fuir eux-mêmes.
Seuls
cet amour intelligent, cette indulgence militante, cet humour
réaliste sur la faiblesse humaine permettront d’apaiser notre
souffrance, nos contradictions et de vivre avec ce secret originel.
C'est
ça l'Eglise, la vraie. C'est la confrérie des indulgents, autour du
secret le mieux partagé et le plus intime, trop brulant pour être
révélé, ce secret qu'aucun mot, finalement ne peut décrire,
raconter.
Alors
avant de confesser notre foi, ou de douter, faisons le chemin de nuit
de N. , parlons à Jésus directement, comme en songe, et déjà,
révélons ce secret à nous mêmes.
AMEN.
Commentaires
Enregistrer un commentaire