PRÉDICATION DU 30 JUIN 2013 " comment ne pas rester un esclave ?"

Psaume 16

Garde-moi, ô Dieu : c’est en toi que je trouve un abri.2Je dis au SEIGNEUR : Tu es le Seigneur,tu es mon bien, il n’y a rien au-dessus de toi !3Les saints qui sont dans le pays, eux-mêmes et les braves, tout mon plaisir est en eux.4Leurs idoles se multiplient ; un autre arrive, ils se hâtent auprès de lui ;je ne répandrai pas leurs libations de sang,je ne mettrai pas leurs noms sur mes lèvres.5Le SEIGNEUR est mon partage et ma coupe ;c’est toi qui assures mon lot ;6la part qui me revient est un lieu de délices ;c’est un patrimoine magnifique pour moi.7Je bénis le SEIGNEUR qui me conseille ;même la nuit, les profondeurs de mon être m’instruisent.8Je contemple le SEIGNEUR constamment devant moi,quand il est à ma droite, je ne vacille pas.9Aussi mon cœur se réjouit, ma gloire est dans l’allégresse,ma chair même repose en sécurité.10Car tu ne m’abandonneras pas au séjour des morts,tu ne permettras pas que ton fidèle voie la fosse.11Tu me feras connaître le sentier de la vie ;il y a abondance de joies devant toi,des délices éternelles à ta droite.



LUC 9 57-62

57Pendant qu’ils étaient en chemin, quelqu’un lui dit : Je te suivrai partout où tu iras. 58Jésus lui dit : Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l’homme n’a pas où poser sa tête. 59Il dit à un autre : Suis-moi. Celui-ci répondit : Seigneur, permets-moi d’aller d’abord ensevelir mon père. 60Il lui dit : Laisse les morts ensevelir leurs morts ; toi, va-t’en annoncer le règne de Dieu. 61Un autre dit : Je te suivrai, Seigneur, mais permets-moi d’aller d’abord prendre congé de ceux de ma maison. 62Jésus lui dit : Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas bon pour le royaume de Dieu.

GALATES 5.1.

C’est pour la liberté que Christ nous a libérés. Tenez donc ferme, et ne vous remettez pas sous le joug de l’esclavage.


PRÉDICATION

Phénomène constaté depuis nombre d'années, ceux qui établissent les textes du jours, ont la tendance de laisser à l'été les passages les plus difficiles à entendre. Ou les plus provocateurs. Réservant sans doute les textes officiellement plus consensuels aux moments où il y a le plus de monde. Ce n'est pas grave dans la mesure où déjà, nous ne sommes pas obligés de se servir des textes du jour.
Mais aujourd'hui, oui, aussi bien le texte du Luc - qui ne sera pas le centre de la prédication, et la phrase de Paul dans la lettre aux Galates, font partie de textes les plus provocateurs de l'évangile. Qui soumettent le prédicateur à un dilemme : doit-il en délivrer le message ? Ou non ?
Je vais donc me mettre dans la posture de Confucius  face à ses étudiants et me dire que je vais tenter de de lever un coin du voile,
si l’étudiant ne peut découvrir les trois autres, tant pis pour lui.
Confucius (551-479 av. J.-C.)

Revenons à  Paul.

Pour bien comprendre la teneur de la phrase de Paul, il faut se propulser dans un temps où l'esclavage était officiel. Et la langue grecque s'en ressent. La liberté ce n'est pas la liberté ma liberté longtemps je t'ai gardé comme une perle rare. Ce n'est pas la liberté - le concept, "suis-je libre ou non ?"...Etc...
C'est la condition de celui qui n'est pas , mais surtout qui n'est plus "un esclave".

C'est pour vivre "ça" que le Christ, dit le texte "nous a " affranchis" . Mais aujourd'hui plus personne ne comprend ce que veut dire affranchi. Alors on traduit par "libérés", mais c'est affranchis.

Et Paul - je ne sais pas pourquoi cela l'obsède autant, Paul, cette histoire d'esclavage - a t-il peur d'y retourner, lui, en exhortant ces destinataires à
" ne pas se remettre sous le joug de l'esclavage ?".


Notre prédication tournera autour de deux points. Le premier tentera de comprendre ce que pourrait vouloir dire l'expression de Paul  "CHRIST NOUS A AFFRANCHIS".

Le second point tentera de déterminer si, comme les Galates, nous serions retombés dans l'esclavage.

Premier point donc

On va donc faire un peu de théologie. Pour comprendre que Paul , en disant "CHRIST" désigne quelque chose de différent de la figure de Jésus de Nazareth.

Contrairement à ce qui rapporté dans différentes traductions "CHRIST" et pas le Christ. Christ, comme un nom propre qui prend la place d'un nom commun, qui prend la place du Christ, du Messie.C'est la même évolution que le terme, et je prends quelques précautions oratoires pour faire la comparaison, que le terme Satan. Dans l'ancien temps, c'était "le Satan", c'est à dire l'accusateur , le procureur dans cette cour royale babylonienne dont se sont inspirés les auteurs de l'ancien Testament pour décrire la cour royal divine. Et puis, progressivement, ce nom commun, est devenu un nom propre, sans article. Ce qui transforme un personnage fonctionnel en personne particulière. Qui  diffuse autour de lui beaucoup plus d'angoisse. Car si on est capable de circonscrire une fonction, il est bien plus difficile de définir une personne. Surtout quand elle devient l'emblème du mal.  Jusqu'à  devenir l'opposé de "Dieu". Toutes notions absolument pas bibliques.
Paul donc, contrairement à tous les usages dit "CHRIST" à la place du Christ, du Messie, en l’occurrence Jésus de Nazareth, considéré comme le Messie attendu par une partie de son peuple.
C'est que pour lui, "CHRIST" va bien au delà de l'histoire de Jésus de Nazareth, que d'ailleurs il n'évoque presque pas dans toute son oeuvre, comme s'il ne la connaissait pas, ou comme s'il n'y accordait pas une importance majeure.
         CHRIST pour Paul, ou JÉSUS-CHRIST pour Paul, c'est bien autre chose qu'un  personnage humain divinisé.  Pour lui, c'est le YAHVE de la Bible qui revient, dans le sens du Dieu qui conduit son peuple vers la victoire, et en l’occurrence  vers la victoire ultime, celle qui s'effectue sur la mort elle-même. CHRIST pour Paul, c'est une autre façon de désigner le Dieu auquel il croit, de toutes les fibres de son imaginaire hébraïque racontant les inlassables victoires de ce Dieu à la tête de son peuple. Ainsi, contrairement à ce qui apparait pourtant comme une évidence, Paul reste strictement monothéiste, mais son Dieu, s'il l'appelle encore "adonaï" (Seigneur, souverain) a changé de nom c'est CHRIST, figure qui va bien au delà de la théologie des évangiles qui racontent l'histoire et les paroles et les actes de Jésus venu de Nazareth. C'est cette puissance là qui invoquée ici, la même qui fonde l'energie de certains Psaume comme celui-ci, le 118 :



Ps 118:7-
Yahvé est pour moi, mon aide entre tous, j'ai toisé mes ennemis.
Ps 118:8-
Mieux vaut s'abriter en Yahvé que se fier en l'homme;
Ps 118:9-
mieux vaut s'abriter en Yahvé que se fier aux puissants.
Ps 118:10-
Les païens m'ont tous entouré, au nom de Yahvé je les sabre;
Ps 118:11-
ils m'ont entouré, enserré, au nom de Yahvé je les sabre;
Ps 118:12-
ils m'ont entouré comme des guêpes, ils ont flambé comme feu de ronces, au nom de Yahvé je les sabre.
Ps 118:13-
On m'a poussé, poussé pour m'abattre, mais Yahvé me vient en aide;
Ps 118:14-
ma force et mon chant, c'est Yahvé, il fut pour moi le salut.
Ps 118:15-
Clameurs de joie et de salut sous les tentes des justes "La droite de Yahvé a fait prouesse,
Ps 118:16-
la droite de Yahvé a le dessus, la droite de Yahvé a fait prouesse!"
Ps 118:17-
Non, je ne mourrai pas, je vivrai et publierai les œuvres de Yahvé;
Ps 118:18-
il m'a châtié et châtié, Yahvé, à la mort il ne m'a pas livré.
Ps 118:19-
Ouvrez-moi les portes de justice, j'entrerai, je rendrai grâce à Yahvé!
Ps 118:20-
C'est ici la porte de Yahvé, les justes entreront.

Pour Paul, "CHRIST" est le nouveau nom de Yahve. CHRIST pour Paul c'est la droite, c'est à dire la force de Dieu. C'est YAHVE au milieu de son peuple, comme dans l'ancien testament. C'est le Dieu créateur, le Dieu victorieux, le Dieu sauveur.

Voilà donc le sens de cet affranchissement. C'est la même force qui parcourt le peuple et l'amène à la victoire, qui fait prouesse, qui ouvre les portes de la justice, qui est ma force, mon chant, mon salut, jusqu'à cette victoire ultime: sur la mort elle-même, qui est la croyance fondamentale du premier christianisme : la mort n'a pas le dernier mot. 

Paul a t-il été compris ? Loin de là. Peu de personnes comprennent qu'en disant "CHRIST" Paul ressuscite pour le monde entier la figure ancienne du Dieu de son peuple.


Voilà donc pour la théologie de Paul, sur ce point.

Maintenant, venons en au second point, sur cette recommandation de ne pas retomber dans l'esclavage.
En quoi cela nous concerne-t-il ? L'esclavage est aboli. Plus aucun cargo ne va chercher dans des Iles lointaines ou sur les cotes de l’Afrique des esclaves pour faire tourner la machine manufacturière ou industrielle. L'esclavage est interdit. Plus personne n'est esclave, et puisque semble t il la structure même de la proclamation évangélique est axée sur le principe de la sortie de l'esclavage : cette proclamation est périmée, car rien autour de nous, ne nous permet d'en comprendre le sens.
Nous vivons dans un monde libre et nous sommes libres.
AMEN !


Mais non.
D'abord l'esclavage réel existe. Même s'il n'est plus "légal" nulle part, il est abondamment pratiqué un peu partout dans le monde. Traite des femmes, des hommes, des enfants. Des esclaves, qui paradoxalement, et à cause de l'illégalité de leur situation n'apparaissent plus au grand jour. Ils ne se voient plus et sont des millions, dans les soutes de nos imaginaires, dans les caves asiatiques de nos grandes firmes occidentales.
Ensuite, j'ai envie de faire un peu d'histoire et de citer un prix Nobel de la paix =

Avant la Révolution de 1789, bien qu'avant que Marx ne le dise, le salariat était considéré comme de l'esclavage. Était salarié celui qui ne pouvait faire autre chose. Une faible partie de la population louait ses services.
Plus de deux siècles plus tard  le travail salarié est devenu la référence indépassable de l'activité.
 Mohammad Yunus, Prix Nobel de la paix en 2006 :
"Aujourd'hui, dans les pays du Nord, chaque enfant travaille dur à l'école pour obtenir un bon travail. C'est-à-dire un bon salaire. Adulte, il travaillera pour quelqu'un, deviendra dépendant de lui. L'être humain n'est pas né pour servir un autre être humain. Un travailleur indépendant, qui tient une échoppe par exemple, travaille quand il en a besoin. Si certains jours il ne veut pas travailler, il le peut. Il a fait sa journée, il profite un peu de la vie. Il n'a personne à prévenir s'il a une heure de retard. Il ne s'inquiète pas de perdre une partie de son salaire. Quand nous étions des chasseurs-cueilleurs, nous n'étions pas des esclaves, nous dirigions nos existences. Des millions d'années plus tard, nous avons perdu cette liberté. Nous menons des vies rigides, calées sur les mêmes rythmes de travail tous les jours. Nous courons pour nous rendre au travail, nous courons pour rentrer à la maison. Cette vie robotique ne me semble pas un progrès. Avec le salariat, nous avons glissé de la liberté d'entreprendre et d'une certaine souplesse de vie vers plus de rigidité. J'ai un salaire, un patron, je dois faire mon job que cela me plaise ou non, car je suis une machine à sous. C'est là le danger global des structures économiques actuelles, de la théorie dominante. L'homme est considéré comme un seul agent économique, un employé, un salarié, une machine. C'est une vision unidimensionnelle de l'humain. Le salariat devrait rester un choix, une option parmi d'autres possibilités."

Je me souviens de m'être moi-même interrogé sur mon propre statut de non salarié. Ma fiche de paie est une fiche d'indemnisation : je suis un bénévole indemnisé. Je suis donc un serviteur, mais pas un esclave. Je n'appartiens à aucun patron. Quand je vois qu'une certaine forme d'idéal se retrouve dans une institution, et bien j'en fais un témoignage concret.
Je m'étonne comment ce renversement de la situation de la condition humaine n'a pas été relevé, combien tout le monde a accepté cette forme d'esclavage généralisé.
Exagéré ? Je ne crois pas. Peut-on ne pas voir que l'interdiction de l'esclavage a coïncidé avec la montée en puissance du salariat ?

C'est une vraie question, et même si elle n'est pas abordée par Paul (qui n'était évidemment pas salarié).
L'exhortation de  Paul, il y a 2000 ans de ne pas retomber sous le joug de l'esclavage est déjà pour nous une invitation non seulement de nous battre contre toutes les nouvelles formes de l'esclavage moderne qui existe y compris sur notre sol, mais aussi de voir en quoi nous-mêmes nous pouvons être des esclaves qui nous ignorons comme tel, ce qui est disons le,la forme parfaite de l'esclavage, du point de vue de l'esclavagiste (qui est sans doute lui-même un esclave qui s'ignore).
L'esclavage, pour certains auteurs est une des formes de l'élevage , et un élevage bien compris inclut la surveillance permanente du cheptel. Les derniers événements concernant la révélation de la surveillance du monde entier est assez éclairante sur ce point. Bien sûr, on argue de la protection, mais tout bon éleveur ne protège t il pas son cheptel ?

Alors voilà. Nous avons l'évangile de Paul et de Jésus, dans ce texte qui a été juste lu, mais sur lequel nous reviendrons un jour, un Jésus qui invite à nous déterminer nous-mêmes jusqu'au delà des plus évidentes conventions sociales (enterrer les morts, prendre congé des siens) quand l'ultime de la liberté est en jeu. Que faisons nous de cet évangile ?
N'est-il pas trop incandescent pour notre époque ?
Le discours qui dit qu'il est périmé n'est il pas un masque pour qu'on ne voit pas en quoi cet évangile est dangereux pour les structures d'esclavages, d’élevages et de surveillances auxquelles nous sommes , pieds et poings, liés ?

Ce sera à vous de le méditer. Mais face à autant d'audace, qui explique d'ailleurs le succès inouï de l'évangile au début de notre ère, et les mélodies des Psaumes qui se retrouvent dans les chants des esclaves des negro spirituals, je ne peux pas en restituer, même dans une prédication, un version modérée.
La bonne nouvelle c'est quoi ? C'est l'invitation à s'affranchir de tous les esclavages !




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