4 mai BABEL
LECTURE
Genèse
11.1-9
1Toute
la terre parlait la même langue, avec les mêmes mots. 2Partis de l’est, ils
trouvèrent une vallée au pays de Shinéar, et ils s’y installèrent. 3Ils se
dirent l’un à l’autre : Faisons donc des briques et cuisons-les au feu ! La
brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier. 4Ils dirent
alors : Bâtissons-nous donc une ville et une tour dont le sommet atteigne le
ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne nous dispersions pas sur toute
la terre ! 5Le SEIGNEUR descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient
les humains. 6Le SEIGNEUR dit : Ainsi ils sont un seul peuple, ils parlent tous
la même langue, et ce n’est là que le commencement de leurs œuvres !
Maintenant, rien ne les empêchera de réaliser tous leurs projets ! 7Descendons
donc, et là, brouillons leur langue, afin qu’ils ne comprennent plus la langue
les uns des autres ! 8Le SEIGNEUR les dispersa de là sur toute la terre ; ils
cessèrent de bâtir la ville. 9C’est pourquoi on l’a appelée du nom de Babylone
(« Brouillage »), car c’est là que le SEIGNEUR brouilla la langue de toute la
terre, et c’est de là que le SEIGNEUR les dispersa sur toute la terre.
CHANT
PSAUME 99 strophes 1,2,3,4
PREDICATION
La
dispersion, c'est la vie. Les hommes étaient en train de se tuer, le Seigneur
les a dispersés et les as sauvés.
La
divinité, sorte de garant moral ultime, qui n'enfreint la règle de la liberté
absolue de l'humanité qu'en cas de défaillance majeure, intervient ici avant la
catastrophe présumée. Pas après. Non pas pour punir, mais pour prévenir.
Quelle
catastrophe ? Ce récit surprend toujours.
Les hommes sont unis, ils parlent la même langue, se comprennent, forment un
projet commun, batissent, une ville, une tour. Se sentant sortir de
l'inexistence, ils veulent se faire un Nom. Quel mal y a t-il à vouloir, se
faire, un Nom ?
On
dit toujours qu'il vaut mieux se faire un nom que de se le faire faire par
d'autres, car vous courrez le risque d'être enfermé à vie dans un Nom que vous
n'avez pas choisi.
Quel
mal y a t il ? Nous qui prêchons l'unité, ce texte viendrait-il miner notre
belle démarche ?
Avant
d'aborder ces questions capitales, voyons d'abord le texte sous son angle sans
doute primitif. Avant d'être un mythe fondateur, il est d'abord un conte
ironique sur la puissance de Babylone, que Dieu finira par anéantir, sa ville
symbole, et sa fameuse tour.
Etemenanki" (la
demeure du ciel et de la terre) dont l'empreinte au sol se trouve dans
l'ancienne cité de Babylone, en Irak.
« Au milieu
se dresse une tour massive, longue et large d'un stade, surmontée d'une autre
tour qui en supporte une troisième, et ainsi de suite, jusqu'à huit
tours. »
Mais que le conte
ironique soit devenu un mythe fondateur n'est pas étonnant.
Revenons à nos
questions. Quel Mal y a t-il ?
Une véritable
réflexion sur la tour de Babel doit aboutir à une conversion de notre regard
sur le monde.
En effet, de ce monde, nous déplorons sans
cesse son manque d'unité, ses conflits, ses guerres. Nous sommes animés
d'idéaux indiscutables, l'unité, la paix, la compréhension. Et face à ses
idéaux, nous sommes consternés de voir qu'ils sont sans cesse battus en brêche,
par la réalité, conflictuelle de la vie en commun des humains, par toute cette
énergie de séparation. Et alors nous
sommes malheureux de voir que nos idéaux ne prennent pas forme, ou alors, si
furtivement.
Face à ça, nous
pouvons basculer et penser : ce monde
est tel qu'il est, j'en suis, j'y participe, et j'abandonne mes croyances,
vaines, à l'unité, la paix, la compréhension. Et j'adopte une posture, une
pensée cynique. Seule à même de n'entraîner aucune déception.
C'est alors qu'il
faut bien réflechir au moyen de ce récit, quand je dis réfléchir, je dis se
mettre en posture d'avoir une spiritualité incarnée et pas évasive, positive et
pas idéaliste, heureuse plutôt que déçue.
On voit deux
mouvements dans ce récit : la convergence, et la dispersion.
Cette convergence,
c'est le premier élan vital de l'humain. Il lui faut pour vivre s'accrocher à
un centre qui en général est fourni par ce qu'il peut comprendre très
rapidement de son milieu de naissance. Toutes les informations sont là, il va
en être bombardé, avec l'injonction massive d'en faire partie, c'est une
question de vie ou de mort, accepter le lait de sa mère, les ordres familiaux,
les vêtements qu'il faut porter, les règles à respecter selon des modèles qui
sont en général celui du père ou de la mère. Ce petit humain et son cerveau
prodigieux va apprendre un langue dans une période record et les influx
culturels de cette langue vont envahir son cerveau et déterminer son
comportement voir modeler son palais, grâce à cette langue il verra le monde
comme le voit le milieu qui l'a accueilli - mais il ne le sait pas encore, il
ne le verra pas comme d'autres personnes parlant une autre langue et formé dans
un autre environnement le voient.
Voilà l'un des
premiers élan vital de l'humain : une aspiration irrésistible vers le même.
Parfois cet élan
infantile, se poursuit dans des milieux qui ne sont pas traversés par la parole
de l'autre, ou dans certaines conditions, se réveille, et cela donne les spectacles de foules
immenses et regressives hurlant la même chose. Ou chacun vit le plaisir extreme
de disparaitre dans un élan commun, quelque que soit la cause, noble,
terrifiante, ou sportive, ou musicale, de cet élan, chaque individu n'étant
qu'un reflet d'une masse identitaire.
Mais rapidement,
ce petit humain est confronté à des accidents, se rend compte que cette aspiration à devenir le même est
contrecarrée. Par des accidents, famille
séparée, exil, mais le plus grand
accident est de nature : c'est l'apparition d'un être animé par une force
vitale aussi forte, et cet être c'est soi-même qu'on peut ou pas réveiller, qui
peut ou pas être réveillé, qui peut être réduit, altéré, enfoui, tué, mais si
on le laisse se réveiller, ce soi-même doit absolument se distinguer des
autres, et à terme s'en séparer, ou, participer à un mouvement de dispersion.
Voilà le drame
posé : pour exister l'humain doit s'équilibrer entre les deux mouvements de
devenir le même et devenir un autre.
S'il ne participe
qu'à devenir le même, il n'aura plus aucune parole propre, chacun des mots
qu'il prononcera sera un lieu - justement- commun, il pensera comme tout le
monde et sera manipulable à merci pour tous ceux qui ont besoin de constituer
des foules pensant la même chose pour vendre des choses, prendre le pouvoir,
conquérir.
S'il ne participe
qu'à devenir un autre, il finira par s'isoler et l'isolement c'est la pire des
tortures qu'on peut infligler à un être humain. Cela n'a rien à voir avec la
solitude. La solitude rend triste. L'isolement rend fou.
C'est pourquoi la
réalité est si conflictuelle, et semble l'objet de réajustement permanents, à
cause de ses deux élans, toujours contrecarrés l'un par l'autre, et finalement
la plupart du temps régulés l'un par l'autre.
C'est pourquoi il
ne faut pas voir l'action du Seigneur dans ce texte comme une malédiction . C'est
un réajustement avant une potentielle catastrophe dont le nazisme nous fournit
un exemple parfait. Une unité
monstrueuse a failli exterminer un peuple, et cette unité a finalement été
dispersée à coups de bombes et après plusieurs hécatombes. Le Seigneur n'est
pas intervenu. Mais. Le texte de la Tour de Babel était là. Mais ne semblait
n'être médité que par les juifs.
De nombreux textes
bibliques, à condition de les méditer intensément, offrent des antidotes à la
catastrophe, et forment des esprits qui n'iront pas hurler avec les loups.
D'où l'importance
du catéchisme.
Ils sauront ces
esprits éclairés que le spectacle de notre monde est le balancement de ces deux
élans vitaux, et qu'il faut tirer profit des deux : se laisser emporter par un
vrai désir d'unité mais où cette unité passerait par la pratique du déchiffrage
du langage de celui qui ne parle pas la même langue que moi, même si nous avons
la même langue maternelle, se laisser interpeler par lui quand il voit dans nos
paroles un simple lieu commun, tenir l'élan vital de l'unité, mais aussi de la
dispersion créatrice de vie. Tenir les deux ensembles, c'est commencer à se
bâtir un bonheur spirituel en prise avec la réalité. Ainsi nous pouvons ne pas
"marcher " vers l'unité mais nous pouvons d'ores et déjà la vivre, à
condition de sentir nos deux élans vitaux et de les respecter. Ce ne sera pas
une unité de masse, ce sera une unité de personnes. Oui des personnes qui
restent des personnes, et deviennent encore de meilleures personnes en vivant
la logique de l'assemblée. C'est à dire l'Eglise : cette proposition qui redeviendra très contemporaine pour à la
fois permettre les sensations d'être ensemble et de rester et devenir soi-même.
C'est une voie étroite. C'est la voie étroite. Je ne vous convaincrai pas par
ma parole. Je vous invite simplement à jouer à fond l'Eglise, dans un sens qui
sera de nouveau bientôt contemporain.
C'est ce que notre
conseil et moi même rêvons pour notre Eglise. Qu'elle se batisse avec la
diversité très forte qui la compose, qu'elle se parle, qu'elle agrège des
autres qui ne se plaindront jamais de rester différents et à qui on n'en fera
pas le reproche.
De toutes façons,
nous avons la communion, qui est bien autre chose qu'une unification, qu'un
lissage. C'est beaucoup mieux qu'une Tour, qu'un Nom. C'est l'assemblée des
dispersés qui se ressentent unis grâce à un autre Nom .
AMEN
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